Depuis que je suis freelance, la question du temps se pose de manière récurrente.
Comment organiser mes journées pour être la plus efficace possible. Comment arriver à jongler entre les projets, les vacances des enfants, les rdv et les sorties d’école.
Comment parvenir à évaluer le temps que me prendra un article, une fiche produit, une accroche et combien le facturer.
Cette épineuse question nécessite constamment pédagogie et diplomatie pour expliquer à mes clients que le temps n’est pas forcément une donnée pertinente.
J’aime souvent évoquer cette anecdote pour illustrer mon propos : un jour, un touriste s’approche de Picasso et lui demande de lui dessiner quelque chose. Celui-ci s’exécute. Il demande alors à l’artiste combien coûte ce dessin. Le peintre lui répond tout de go « 1 million ». « Un million ? » s’étonne le touriste « mais ça ne vous a pris que 30 secondes ! ». « J’ai mis 30 ans pour apprendre à dessiner en 30 secondes » lui rétorque alors Picasso.
Je n’aurai bien sûr pas la prétention de me comparer à Picasso, néanmoins je trouve cette anecdote transposable à bien des domaines. Elle pose la question cruciale de la valeur de l’expérience. Si aujourd’hui, je suis capable d’écrire très rapidement, c’est grâce à des années de raturages, d’hésitations, de textes poussifs et de découragement.
Pourtant, je ne me considère paradoxalement pas comme quelqu’un de rapide.
J’ai besoin de temps pour sentir mes interlocuteurs et ce qu’ils attendent de moi. Avant de pondre la moindre ligne, il me faut lire beaucoup, m’imprégner d’ambiances, flairer l’air du temps, faire le tour des concurrents. Une fois la tête pleine d’émotions et de mots, je repense alors au texte sous ma douche, en poussant mon caddie, en éminçant mes oignons. La nuit parfois même, il me réveille. Ce processus peut prendre des jours entiers. Difficile de chiffrer et de facturer cette maturation.
Enfin, à un moment, le déclic arrive. Je m’assois devant mon écran et ce qui ne ressemblait qu’à une vague idée prend alors corps sous mes yeux. Un peu comme lorsqu’un vulgaire tas de glaise prend forme humaine sous les doigts du sculpteur. Un petit miracle quotidien qui continue encore de m’émerveiller.
Paradoxalement, cette étape de rédaction est souvent extrêmement rapide. Généralement, je laisse le texte reposer une nuit entière, puis je le retravaille le lendemain.
Très souvent, je veille à ne pas l’envoyer trop vite, de peur que le client ne pense que je l’ai bâclé ou qu’il n’en a pas eu pour son argent. « Vite fait, mal fait » reste pour beaucoup un adage qui a fait ses preuves.
Il existe un autre malentendu de taille au sujet du temps. Pour beaucoup, faire court c’est forcément rapide. J’ai récemment dû rédiger une soixantaine de fiche produits pour un site marchand : une accroche qui incitait à l’achat + 5/6 lignes synthétisant l’histoire du produit, sa description, son origine et ses indications. « Ca ne va pas vous prendre beaucoup de temps, il ne s’agit que d’une phrase et de quelques lignes » m’avait alors lancé mon client pour me rassurer. Pourtant, en dépit d’une idée reçue, il est bien plus rapide de tartiner des pages que d’être synthétique. Il est également bien plus difficile de faire passer un maximum d’idées en un minimum de mots que de laisser libre cours à sa plume sans limitation.
L’exercice ressemble parfois à un tour de force, comme essayer de rentrer un éléphant dans une 2 chevaux.
Pour se faire pardonner la longueur de sa lettre, Pascal écrivait en conclusion « Je n’ai pas eu le temps de faire plus court ».
Preuve, s’il en fallait une, que la concision prend du temps.